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L “IA” peut-elle
se substituer à l “I” ?
L'opinion de Dominique Dirlewanger sur les rapports entre IA et éducation
24 Heures du 3 octobre 2025
Difficile de dire mieux en si peu de mots ! La question qui me taraude, à partir des constats établis par mon collègue historien et didacticien de l'histoire, est celle de savoir si une IA, même générative, peut véritablement raisonner, penser... à notre place. Ce qui impose de se mettre d'accord sur ce que signifie “raisonner, penser... ” pour une intelligence qui n'est pas artificielle, et pour une intelligence qui le serait.
Les intelligences artificielles nous serrent de plus en plus près. Et-ce une irruption ?
L'histoire abonde de moyens auxiliaires - artificiels - venus doper notre intelligence, « visant la simulation des facultés cognitives humaines » (Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, Rey Alain dir.). Par exemple, pour ne remonter qu'à l'époque médiévale, la technique de solmisation a décuplé dès le 11e siècle nos capacité de mémorisation (voir à la rubrique Histoire de l'éducation : Le Temps des espaces pédagogiques), tout comme la diffusion du papier comme support de l'écrit, en Europe à partir du 14e siècle, a suppléé les limites de la mémorisation en démultipliant l'accès à la connaissance. Puis, de l'imprimerie à la calculatrice, au tableur, au GPS, etc etc, comme l'illustre très bien Dominique Dirlewanger, tout indique que l'idée d'un recours à des artefacts pour augmenter notre intelligence soit un phénomène récent, cette idée donc peut bien paraître incongrue. Elle découle sans doute de l'irruption (récente elle, en effet) de l'usage des chatbots.
C'est en profane que je suis cette évolution... vertigineuse. J'aimerais comprendre la différence entre intelligence (tout court, donc animale, de la fourni à l'homme, de la fourmilière aux sociétés) et intelligence artificielle (fonctionnant par procédés externes à l'intelligence humaine... mais faut-il le rappeler, régis par l'homme), en particulier dans leurs incidences sur l'éducation et l'enseignement.
Quels sont donc les niveaux des facultés cognitives atteints par une IA ?
Comment classe-t-on les niveaux intellectuels propres à l'intelligence humaines ? Lesquels, le cas échéant, une IA peut-elle atteindre ou exercer ? Prenons une taxinomie cognitive courante, c'est-à-dire une échelle de classification des opérations intellectuelles essentielles.
En simplifiant fortement, on peut dire que la mémoire individuelle correspond à un niveau dit de 'connaissance (de faits établis)' - on livre des savoirs mémorisés, que ce soit l'altitude du Mont-Blanc ou l'Ancien Testament en latin -; qu'en parlant, racontant, expliquant... nous démontrons une maîtrise du niveau 'compréhension (de phénomènes)' ; qu'en calculant, divisant, résolvons une équation... nous en sommes à celui de l' 'application (d'une règle)' ; qu'en raisonnant - à un degré élémentaire - nous pratiquons un niveau d' 'analyse (de situations nouvelles)' - par déduction, induction... -; qu'en adoptant une posture scientifique nous en sommes à celui de la 'synthèse - évaluation (de données assemblées en comparaison' - par confrontation de thèses pour une conclusion, un rapport, une enquête, un jugement... -; qu'en nous manifestant comme inventeur, interprète, artiste... nous tentons d'atteindre le niveau de la 'créativité' - en imaginant, réalisant... quelque chose de nouveau, d'inattendu, de beau, d'original... -.
Tout ce que maints textes de références présentent sans souci de classification comme tâches attribuées à une IA sous la forme d'apprentissage, de raisonnement, de résolution de problème ou de prise de décision. Vraiment ? Une IA pourrait donc se substituer à l'intelligence à partir d'incomensurables bases de données constituées du pillage de tout ce qui est en ligne, moyennant l'étiquetage concept à concept par des armées de bénédictins sous payés, exploités, et circuler sur le NET, en vrac, du meilleur au pire, du vrai au faux... de toutes les archives ou les bibliothèques qui ont pu être numérisées... au prix de 15% - pour l'instant - des ressources énergétiques mondiales.
Première interrogation. La réponse à une demande complexe, formulée à une IA, du type résolution de problème ou rapport d'enquête, est-elle constituée des conclusions établies par une équipe de chercheurs après des années de travaux et d'expertise, livrée comme telle, figurant dans la banque de donnée d'une 'IA 'questionnée' par prompts inlassables conduisant à une réponse dont il faut vérifier la validité ? Le cas échéant, l'IA aurait tout simplement répliqué une connaissance établie, fusse-t-elle complexe (niveau 1 sur 5/6). Peut-être aura-t-il donc fallu, pour y parvenir, diriger l'IA vers la réponse par une maïeutique close en forme de prompts successifs jusqu'à ce que la demande soit suffisamment balisée pour qu'une réponse soit donnée. Un pas à pas qui ne nécessite en aucune manière le recours à un niveau cognitif complexe. Ou alors s'agit-il véritablement d'un problème résolu, d'une enquête conduite... par l'IA elle-même, réellement, en complète autonomie, ce qui lui conférerait bien la capacité d'atteindre un niveau taxinomique cognitif complexe.
Expérience faite, un voyage de découverte au centre du Portugal - par exemple - se déroulera en bien meilleure garantie d'en aborder les hauts lieux les plus significatifs après consultation du bon vieux Guide Michelin - emporté avec soi, avec ses plans et ses explications, élaboré à partir d'excursions réalisées et testées, afin d'en fournir les conseils judicieux de découverte -, qu'en interrogeant une IA au prix d'un interminable processus de questions-réponses devant son écran, dans l'espoir d'obtenir des données dont le demandeur ignore tout et que l'IA cherche à “trouver” en fonction de sources aléatoires dont la fiabilité n'est pas garantie. Pour l'instant...
Un examen universitaire au niveau chatbot !
Voici la réflexion que m'avait suggéré une nouvelle largement diffusée (et d'ailleurs pas si surprenante) que des profs de hautes écoles admettaient qu'une IA pouvait réussir un examen académique. Simultanément, une recherche montrait que les travaux du haut de la pile, selon un biais d'évaluation classique et bien connu, étaient mieux notés.
J'avais préparé ce texte pour une éventuelle diffusion avant qu'il ne soit emporté par l'urgence d'autres publications.
Alors, tout ce qui vaut pour l'intelligence vaut-il aussi pour l'intelligence artificielle ?
Je consens qu'il faille éviter toute hostilité spontanée face à la nouveauté, par crainte d'hypothétiques effets néfastes, en ignorance de ce qu'elle promet réellement. La diffusion du papier suscitait la crainte qu'on n'ait plus à mémoriser, l'irruption du chemin de fer la peur qu'une femme enceinte accouche sous l'effet de la vitesse...
J'avance (comme hypothèse) que si une IA peut réussir un examen propédeutique, comme cela a donc été évoqué dans l'article ci-dessus, c'est sans doute que la procédure utilisée plaçait ses participant-e-s à des niveaux taxinomiques peu exigeants, du type 'connaissance' / 'compréhension' voire 'application'. Les domaines propédeutiques, par nature, ne requièrent pas d'autres niveaux.
Parce que si nos calculettes, nos GPS... nous donnent immédiatement la réponse à une demande d'opération mathématique ou d'information, simple ou complexe, en vertu de leurs immenses capacités de mémorisation couplées à celle d'appliquer une règle formelle, je ne vois pas, à priori, une IA en capacité de mener une enquête au sens épistémologique du terme. Sauf à répliquer des résultats ou des conclusions déjà établies, enregistrées, comme je l'ai suggéré au paragraphe précédent. Des données, non pas des procédures, que les prompts préparés par l'utilisateur auront permis d'aller débusquer dans des fonds disponibles instantanément, à l'écran (sans devoir descendre aux archives en maîtrisant leurs codes d'accès et en y consacrant un temps long, sans la nécessité de consulter - réserver, aborder, étudier, lire, interpréter... - les connaissances établies par des milliers d'ouvrages, d'en confronter les thèses.... ), mais simplement, à partir des régularités, des similitudes ou des différences les plus saillantes, repérées spontanément, en fonction de la puissance de 'calcul' conférée par une énergie incommensurable, disponible à bas coût, puisées au milieu de milliards de faits, conclusions, rapports, analyses.... accumulées dans des bases de données illimitées, correspondant aux innombrables bibliothèques papier ou numériques enregistrées.
Se référer à un modèle de classification des opérations intellectuelles ouvre des perspectives vertigineuses pour l'analyse des capacités des IA. C'est admettre, encore faudra-t-il le vérifier, que si remporter un concours de niveau international aux échecs c'est pouvoir proposer une solution à partir de la mise en abîme d'une vingtaine de coups, en prospective, pour une IA ce n'est qu'une réaction à une palette de mille possibilités mise en mémoire numérique... en une fraction de seconde.
Texte très provisoire, très inachevé, d'une rubrique balbutiante (comme une IA) en travail...